Dénoncer le sexisme, c'est bien ; donner des noms, c'est mieux. Et c'est un homme politique de premier plan qui le dit. Interrogé mardi Nike TN matin sur France Inter au sujet de la tribune des femmes journalistes publiée mardi dans Libération, le président du groupe socialiste à l'Assemblée Bruno Le Roux était formel. ?Il faut non seulement les dire, mais il faut dire d'où cela vient, pour faire en sorte que cela s'arrête.? Fallait-il révéler les noms des hommes politiques sexistes ? S'adonner à la pratique du ?name and shame?, ?dénoncer et punir?, pour changer plus s?rement les comportements ? ?C'est une vraie question. On a eu cette discussion avant de rédiger la tribune et certaines d'entre nous voulaient lever l'anonymat, rapporte Lena?g Bredoux, journaliste à Mediapart et cosignataire du manifeste Bas les pattes. Mais nous souhaitions dénoncer un climat ambiant, pas focaliser l'attention sur les dix ou quinze auteurs des comportements que nous décrivons dans le texte. Si nous avions donné dix noms, on n'aurait parlé que d'eux pas d'un phénomène général, fréquent à tous les échelons et dans tous les partis, auquel beaucoup plus d'élus participent par leurs habitudes, leurs manières de faire.? ?AU BOUT DE SIX SIGNALEMENTS, ON DéNONCE? Pour Julien Bayou, co-porte-parole d'EE-LV, la pertinence des actions collectives n'est plus à prouver. Il a déjà pratiqué le ?name and shame?, notamment au sein du collectif Génération Précaire. ?Il est utile au débat d'"outer" les sexistes, mais de manière éthique. Imaginons, dans le cas des femmes journalistes, que vous vous signaliez les noms des députés qui vous harcèlent. Au bout de 5, 6 signalements, y'a pas photo : on dénonce. La dénonciation collective évite à la victime de se sentir seule, de culpabiliser. Cela permet aussi de ne pas être dans quelque chose qui ressemble à de la vengeance personnelle. Il faut cibler les caricaturaux. Si vous prenez les pires, je peux vous dire que les autres vont sentir le vent du boulet passer.? Les militantes du collectif féministe La Barbe, qui débarquent sans prévenir dans les colloques universitaires ou les assemblées générales d'entreprise trop uniformément masculins avec leurs postiches, diffusent régulièrement sur les réseaux sociaux les noms des entreprises et des participants à ces raouts d'hommes. Pour Sophie, une militante ?barbue? qui ne tient pas à donner son nom de famille, ?c'est comme un jeu de massacre : une quille tombe et en emmène d'autres avec elles. Il ne s'agit finalement jamais d'une simple affaire individuelle, mais de toute une organisation masculine qui est dévoilée.? Hélène Bekmezian, journaliste politique au Monde et cosignataire de la pétition, ne dit pas autre chose : ?C'est un petit peu le même principe que pour l'affaire Cahuzac : on sort l'artillerie lourde pour dissuader aussi les autres, pour que tout le monde se sente concerné?. Cette dernière estime que ?la peur d'être dénoncé sur la place publique est la seule menace permettant de faire évoluer les comportements?, mais reste cependant favorable à l'outing au cas par cas. Pour Olivier Fillieule, professeur de sociologie politique à l'université de Lausanne, ?la publicité des actes et propos sexistes serait une mesure de salubrité publique?. Le sociologue balaie du revers de la main les craintes de certains commentateurs de voir émerger une société suspicieuse et prompte à la délation. ?Ces comportements sont punis par la loi et la position des hommes qui les perpètrent les oblige en quelque sorte à l'exemplarité. Dès lors, la loi du silence, l'omerta, se retourne toujours contre les victimes. Donc oui, sans aucun doute, dans le cas de comportements sexistes, la dénonciation doit être encouragée, les noms doivent être divulgués et les victimes (les dénonciatrices, donc) protégées en revanche de toute rétorsion?. ?NE PAS S'ISOLER MAIS LES ISOLER EUX? Car la stratégie peut être risquée. ?Faut-il nommer ces hommes ? Oui, s?rement, bien s?r ! Mais pas seule et pas sans preuve, car dénoncer de telles pratiques peut amener à être poursuivie pour diffamation, prévient Natacha Henry, auteure de Les mecs lourds ou le paternalisme lubrique (réédité en 2011 chez Gender Company). Il faut donc faire masse, ne pas s'isoler mais les isoler eux : leur faire comprendre qu'ils sont hors la loi. La loi adoptée le 6 ao?t 2012 dit bien : "Le harcèlement sexuel est le fait d'imposer à une personne, de fa?on répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante."? D'autant que d'autres formes de ?name and shame? sont possibles. Léna?g Bredoux avait par exemple été marquée par un article d'une collègue allemande. Laura Himmelreich, journaliste politique pour l'hebdomadaire Stern interviewe un leader du FDP (Parti libéral démocrate). Il regarde avec insistance ses seins, lui dit qu'elle remplirait bien un dirndl, la robe traditionnelle bavaroise. Il attrape sa main et l'embrasse. ?J'aimerais que vous m'inscriviez sur votre carnet de bal.? Elle le raconte factuellement dans son article. L'affaire fait grand bruit, la journaliste, très soutenue par sa direction, est notamment accusée d'avoir dévoilé une ?conversation privée?, alors que la rencontre était totalement professionnelle. Mais des femmes, de tous milieux, se reconnaissent dans l'histoire et un hashtag est lancé sur Nike TN Twitter #aufschrei (cri), où des femmes racontent leurs histoires de sexisme ordinaire. Faut-il relater les comportements sexistes auxquels on est confronté ? ?Il n'y a aucune raison qu'un rendez-vous professionnel soit le lieu de propos déplacés, répond Léna?g Bredoux. Il faut y réfléchir, mais là encore collectivement.? Autre réponse imaginée par la journaliste : ?On pourrait, là encore à plusieurs, boycotter les politiques aux comportements inappropriés. L'un d'entre eux m'a fait un baise-main la première fois que nous nous sommes rencontrés pour une interview. Je ne l'ai plus jamais sollicité.? A moins qu'elles n'optent pour la stratégie inverse, le ?name and praise?, c'est-à-dire, comme le détaille Natacha Henry : ?Une méthode qui consisterait à nommer ceux qui ne se sont pas livrés à des comportements inappropriés?. Sur Nike TN son billet de blog, Léna?g Bredoux note que ce sont surtout des hommes qui regrettent qu'elle n'ait pas outé leurs congénères. ?Peut-être pour se dédouaner eux-mêmes?, suppose-t-elle. C'est ce que dit en tout cas Bruno Le Roux. S'il souhaite la dénonciation de ses collègues sexistes, c'est ?pour faire en sorte que cela s'arrête?. Mais aussi parce qu'il n'a ?pas envie que l'opprobre soit jetée sur tous les parlementaires?. Ce à quoi la journaliste de Mediapart répond : ?Que Bruno Le Roux appelle à dénoncer les élus sexistes, c'est très bien. Mais je ne peux pas croire qu'il n'ait jamais assisté à de telles attitudes.? Et en ce cas, pourquoi ne pas se livrer lui-même à l'outing de ses collègues ?
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